Paris, Les Indes Savantes, 2016, 446 p.
À la fin du XVIe siècle, Cajamarca est un « pueblo de indios » réservé aux Indiens. Beaucoup fuient, disparaissent ou meurent, tandis que s’installent des Espagnols dans le chef-lieu de province que devient le pueblo au XVIIe siècle, avec près de 10 000 habitants. Les non Indiens entreprennent de légitimer leur « droit d’être là » et, pour contourner les interdits régissant les rapports avec les Indiens – notamment les limites à l’acquisition de biens fonciers – les Espagnols construisent la légitimité de leur présence, s’arrogeant petit à petit toutes les sphères de gouvernement et la justice ordinaire des Indiens. Dans ce processus, l’écriture publique indienne devient un enjeu de gouvernement et un lieu de justice. Nous nous intéressons à cette « prise d’écriture » par les individus indiens qui, tout en répondant aux exigences des prescriptions légales et religieuses, trouvent là un lieu d’expression de leurs sentiments et de leurs affects. Notre travail repose sur une analyse de la mise en scène de la volonté et de l’expression volontaire d’une justice par la parole individuelle qui fait de l’acte un témoignage de soi à vocation judiciaire. Le greffier indien consigne une mémoire des choses présentes. De sorte qu’entre le pouvoir d’obliger les proches à rembourser des dettes et à garantir les funérailles, et celui de dire « pour mémoire » ce qui vaudra pour l’avenir, le testament, inscrit au registre de l’écriture publique, disponible pour tout regard, apparaît comme un lieu de justice qui renverse le temps de celui qui parle.